25.8.15
Chade: Goukouny Weddeye
Alors que son tombeur, Hissène Habré, est jugé à Dakar, que devient celui que dirigea le pays de 1979 à 1982 ? Nous l'avons rencontré à N'Djamena, où il se présente désormais en homme de paix.
Il ne traînera pas sa frêle silhouette à la barre du tribunal de Dakar. Il ne croisera donc pas le regard de son ennemi intime, qu’il n’a plus revu depuis près de trente-cinq ans. Goukouni Weddeye a refusé – pour on ne sait quelles raisons – de témoigner au procès de Hissène Habré, qui s’est ouvert le 20 juillet au Sénégal avant d’être ajourné au 7 septembre. Mais il n’a pas perdu une miette de ses préparatifs. Comment pourrait-il s’en désintéresser, lui dont le destin a longtemps été lié à celui de son aîné de deux ans, un Toubou comme lui – même s’ils ne sont pas issus de la même branche.
Habré le Téda et Weddeye le Daza ont guerroyé pendant près de vingt ans : ensemble, entre 1972 et 1976, dans ce que l’on appelait alors la « deuxième armée » ; puis l’un contre l’autre jusqu’à la fin des années 1980. Chacun leur tour, ils ont connu les soutiens ambigus et intéressés des puissants de ce monde, les défaites militaires, le désespoir certainement. Mais aussi le pouvoir. La chute : la fuite, la traversée nocturne du fleuve Chari et le passage en terre camerounaise avec le dernier carré des fidèles. Et enfin l’exil, au Sénégal pour Habré, en Libye puis en Algérie pour celui que tout le monde appelle Goukouni.
Aujourd’hui, à 71 ans, c’est comme s’il voulait ne plus y penser. Dans l’immense salon de la villa que lui a allouée l’État après son retour au pays en 2009, dans le quartier de Farcha, dans l’est de la capitale – celui-là même d’où il organisait les opérations lors de la seconde bataille de N’Djamena, en 1980 -, Goukouni ne rechigne pas à parler de Habré, de leurs luttes épiques et de leur séparation.
Sans rancune
Il ne lui en veut pas d’ailleurs, et en parle comme on évoque un ami d’enfance depuis longtemps perdu de vue. « Je n’ai aucune rancune contre lui, dit-il. Je ne le considère pas comme un ennemi. À l’époque, chacun d’entre nous avait son idée. » Mais il ne prend pas non plus de plaisir particulier à se remémorer ces temps obscurs où la guerre semblait être le seul moyen de conquérir le pouvoir au Tchad.
C’est en homme de paix qu’il se présente désormais : « Nous sommes dans une ère nouvelle. On ne peut plus se permettre de faire la guerre. » Le voilà même médiateur. Depuis le mois de mai, il est censé renouer les fils du dialogue au Burundi – un pays qu’il découvre – au nom de la Ceeac. Pas une mince affaire, surtout pour cet homme du désert plus habitué au silence des nomades qu’au tumulte des Grands Lacs. « Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai été choisi, convient-il. Mais je ferai en sorte de remplir ma mission. »
Il s’y était déjà essayé (sans succès) en Libye, un pays qu’il connaît bien mieux pour y avoir passé une partie de sa vie et pour y compter de nombreux parents. C’était fin 2014. Les heurts entre les Toubous et les Touaregs se multipliaient à Oubari et à Sebha. « Des représentants des deux groupes sont venus prendre contact avec le chef de l’État tchadien. À la suite de ces deux entretiens, Idriss Déby Itno, ne voulant pas personnellement s’engager, a souhaité que je rencontre ces deux groupes, que je les écoute et, si possible, que je les réconcilie. » Le dialogue a fait long feu.
Certes, au bout de trois jours de discussions dans la propre villa de Goukouni, les deux délégations, de Toubous et de Touaregs, s’étaient entendues sur un projet d’accord. Mais personne n’était mandaté pour faire la paix. Et les interférences étrangères (des pays du Golfe notamment) étaient trop fortes pour que N’Djamena règle le problème tout seul. « Depuis, constate Goukouni avec amertume, un groupe négocie à Tobrouk, un autre à Dubaï, un troisième au Qatar, et une rencontre est prévue en Tunisie… Ils sont tellement divisés que nous n’arrivons pas à comprendre ce qui se passe. »
Le chaos libyen le désole mais ne l’étonne pas. Celui qui a longtemps été soutenu par Mouammar Kadhafi, qui fut même accusé d’être sa marionnette (accusation maintenue, encore aujourd’hui, par le clan Habré), sait de quoi il parle : « C’était prévisible. Kadhafi avait lui-même dit : “Après moi, ce sera le chaos.” Ce régime a tenu pendant quarante ans en divisant les tribus. »
Pour autant, il ne fallait pas bombarder Tripoli et encore moins tuer Kadhafi, pense-t-il. « Quand sa mort a été annoncée, la plupart des Toubous étaient contents. Pas moi. Kadhafi nous a beaucoup aidés. Il nous a cassés aussi, il a tenté de m’éliminer physiquement. Mais un adage toubou dit : “ Ne jette pas de caillou dans un puits dont tu as bu l’eau.” »
Jeune Afrique
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