30.1.16

Bissau: O narcotráfico é quem mais ordena

LE MONDE| Le 29.06.2009 Au coeur de la nuit, le bar sans nom sur le port de Bissau semble la seule lumière dans l'obscurité d'une ville privée d'éclairage public. Sous l'ampoule anémique se laisse deviner une mince parcelle du trafic de drogue à échelle industrielle qui s'est développé en Guinée-Bissau, pays d'Afrique de l'Ouest ravagé par la pauvreté, une guerre civile (1998-1999) et une culture nationale de l'assassinat politique. Assis à une table, l'homme est nerveux. Carlos, appelons-le ainsi, a le bout du nez brûlé par la consommation de crack (dérivé de cocaïne) fumé dans des petites pipes. La flamme du briquet a laissé les chairs à vif. Carlos préfère affirmer qu'il a été blessé d'un coup de dent rageur de sa petite amie. Notre compagnon s'agite dans son bleu de chauffe taché. Il renverse sa bière, lève les bras au ciel, s'impatiente. Ce soir, il attend l'équipage d'un cargo italien auquel il dit avoir prêté main-forte pour charger discrètement de la cocaïne. A présent, le capitaine doit le "récompenser" en nature. Pour achever la transaction, il les suivra dans les bars du centre, où sont attablés des hommes silencieux, lunettes noires, 4 × 4 garés à proximité, et qui rient aux éclats quand on leur demande ce qu'ils font dans la vie. Ce ne sont là que les petits parrains locaux, notamment nigérians, de la redistribution locale de cocaïne. Pour le gros du trafic, il faut sillonner les quartiers périphériques, fureter à proximité des villas où les responsables sud-américains et leurs hommes gèrent les arrivées et les départs de tonnes de cocaïne, tout en évitant de se montrer. Réseau global et consommation locale, gros profits et risques d'explosion politique, voici résumé à grands traits l'impact de la transformation brutale d'un petit pays perdu en plate-forme de réexportation de la cocaïne sud-américaine vers l'Europe. Le problème est régional, à la taille de l'Afrique de l'Ouest. Depuis 2005, "au moins 46 tonnes" de cocaïne ont transité en Guinée-Bissau et dans les pays voisins, relève le Bureau des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC). La valeur de cette cocaïne en transit ? Près de 2 milliards de dollars (1,4 milliard d'euros) chaque année. De quoi faire tourner les têtes en Guinée, au Ghana, en Sierra Leone ou dans les pays voisins, têtes de pont du réseau. Le volume du trafic croît, les prises s'espacent, le système politique se laisse gangrener par les narcodollars : la cocaïne promet des lendemains violents en Afrique de l'Ouest. La Guinée-Bissau est la première touchée. Les assassinats politiques liés à des querelles entre groupes militaires et politiques rivaux s'y multiplient. Certains responsables bissau-guinéens auraient constitué des milices avec l'argent des trafiquants, dans l'attente du résultat de l'élection présidentielle de ce dimanche 28 juin. "C'est un pays tellement fragile", soupire Franco Nulli, délégué de la Commission européenne dans le pays, avant de rouler des yeux à la première question sur la drogue et de vous congédier. La Guinée-Bissau ne s'est pas encore transformée en narco-Etat. Les cartels ne s'y livrent pas à des règlements de comptes sanglants dans les rues assoupies du centre-ville, leurs chefs étant plus soucieux de discrétion que de rivalités suicidaires. Mais, déjà, la consommation locale de drogue s'envole. Les groupes de la région impliqués dans les trafics (notamment nigérians et mauritaniens), souvent payés en cocaïne, ont la gâchette facile et la lame de couteau rapide. Et en dépit de l'aide de l'ONUDC à l'appareil judiciaire, les trafiquants vivent dans l'impunité, alors que la politique locale est déjà sous influence des narcotrafiquants. Antonio Mazitelli, représentant régional de l'ONUDC, constate : "Les cartels utilisent le pays comme base logistique en profitant de l'existence de groupes rivaux au sein du pouvoir. Pour l'instant, le plus dangereux, c'est la compétition entre les groupes locaux qui gèrent la dimension locale du trafic." Car la compétition entre petits réseaux de "mules" fait déjà des morts. Luis Vaz Martins, avocat et président de la Ligue guinéenne de défense des droits de l'homme, essaie d'enquêter sur le sujet : "La cocaïne tue, surtout lorsqu'un groupe retient une certaine quantité de drogue qu'il doit livrer pour maintenir la pression sur ceux qui doivent payer." Il travaille avec une prudence de chat sur le cas de deux commerçants libanais récemment criblés de balles dans son voisinage, et sur de curieux assassinats en mer, "lorsque des éléments concurrents de la marine se sont tiré dessus". Un groupe de responsables militaires avait développé des aires d'atterrissage dans le sud du pays. Notamment à Kufar, juste à côté d'une caserne. Les "Gulf Stream" avec des systèmes de ravitaillement pour traverser l'Atlantique y atterrissaient avec, dans leurs soutes, "une tonne à une tonne et demie de cocaïne", estime un expert. L'intervention de l'ex-chef d'état-major, Tagmé Na Wai, a été décisive pour bloquer le trafic, en faisant fermer des pistes et en menaçant d'abattre tout avion survolant le territoire bissau-guinéen. Depuis, le trafic emprunte d'autres voies, par mer, arrivant dans les îles Bijagos, où abondent d'étranges petits hôtels sans clients, ou par air. "On peut organiser des atterrissages n'importe où. On arrive à construire une piste en deux semaines", commente, abattu, M. Mazitelli. Pendant ce temps, la violence gagne. Tagmé Na Wai a été pulvérisé dans un attentat en mars, entraînant l'assassinat du président de la République, Nino Vieira. Des morts prévisibles ? "Tagmé leur a fermé le robinet, assure une source judiciaire qui supplie pour ne pas être identifiée. Il fallait s'attendre à une vengeance." Jean-Philippe Rémy - BISSAU ENVOYÉ SPÉCIAL

Nenhum comentário: