7.7.16

A danação de Tony Blair

Editorial du « Monde ». Tony Blair a engagé son pays dans la guerre d’Irak sur la foi de renseignements non vérifiés, en évoquant un danger qui n’existait pas ; il l’a fait sans base légale sérieuse et sans préparation militaire suffisante. Publié mercredi 6 juillet, le dernier des rapports officiels britanniques sur la décision de Londres de se joindre à l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003, est sans pitié pour l’ancien premier ministre travailliste. M. Blair a commis une erreur majeure, qui a eu des conséquences désastreuses pour les Irakiens et qui n’a pas peu contribué au discrédit qui pèse sur la classe politique britannique. Rien ne prouve que le maintien de Saddam Hussein, tyran monstrueux, au pouvoir n’aurait pas dégénéré un jour en guerre civile dans un pays exsangue et déjà saturé de violence – même sans intervention étrangère. Mais tout montre que l’invasion puis l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis (2003-2011) l’ont plongé dans le chaos. Elles ont nourri un djihadisme proliférant bien au-delà de l’Irak. Elles ont déstabilisé la région en achevant de démanteler l’un des Etats parmi les plus solides du Moyen-Orient contemporain. Des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers, d’Irakiens sont morts dans la spirale de tourmente déclenchée par la décision du président américain George W. Bush, à laquelle s’est joint Tony Blair – contre l’avis sage et prémonitoire du président Jacques Chirac. Prétexte pas sérieusement étayé Présidée par un ancien haut fonctionnaire, John Chilcot, la commission n’accuse pas formellement M. Blair d’avoir menti. Elle dit que le prétexte invoqué – l’arsenal d’armes de destruction massive aux mains de Saddam Hussein – n’a pas été sérieusement étayé. Elle accuse M. Blair d’avoir décidé de suivre aveuglément M. Bush, quelles que soient les raisons invoquées par celui-ci. Or, elles étaient pour le moins confuses. Le contexte est celui de l’après-11-Septembre 2001. Dans le vide d’une pensée stratégique qui s’est avérée incapable de saisir la portée du danger présenté par Al-Qaida, auteur des attentats, « W », inexpérimenté et impulsif, se laisse séduire par les néoconservateurs de son équipe. Le raisonnement est simple. Le terrorisme islamiste est né en réaction aux régimes dictatoriaux arabes. Si on les abat, si l’on exporte la démocratie dans la région, fût-ce par la force, on viendra à bout du danger terroriste. L’affaire des armes de destruction massive (inexistantes) était un leurre. L’objectif américain était de changer le profil du Moyen-Orient. L’une des plus grosses erreurs stratégiques M. Blair avait le devoir de se méfier d’un messianisme délirant porté par des apprentis sorciers des rives du Potomac. Le rapport ne se prononce pas sur son éventuelle culpabilité « légale », au regard du droit international. Mais, qu’il s’agisse de la manière dont la décision a été prise à Londres puis de la façon dont elle a été mal appliquée sur le terrain, il est sévère pour M. Blair. L’Irak n’est toujours pas sorti de l’enfer. L’engagement dans ce pays a retiré, à l’époque, les moyens nécessaires à une stabilisation de l’Afghanistan. Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, cette guerre d’Irak, avant même la crise financière de 2008, a singulièrement diminué la confiance accordée aux institutions politiques – ce qui a contribué au vote sur le Brexit. M. Blair n’est pas responsable de tout. Mais il a pleinement participé à l’une des plus grosses erreurs stratégiques de l’après-guerre.

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