11.6.14

Bissau: A gangrena do narcotráfico

Sur son passé d'enfant-soldat, Allen Yéro Embalo a tiré un trait. Devenu journaliste, il veut porter la plume dans la plaie. Pas facile dans un pays où les trafics gangrènent jusqu'au sommet de l'État.
Pour des raisons de sécurité, Allen Yéro Embalo, journaliste de 57 ans, ne se déplace qu'en taxi collectif. Sous son oreiller, une kalachnikov veille sur son sommeil. En Guinée-Bissau, où les assassinats politiques succèdent aux coups d'État et où la classe politique et l'état-major sont soupçonnés d'implication dans divers trafics, le travail ne manque pas. Les risques non plus.
À la fin des années 1960, le jeune Allen, fils d'un guérillero du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), mène la vie d'un enfant-soldat transbahuté de campement en campement. Dans la zone frontalière entre le Sénégal et les deux Guinées, il apprend le b.a.-ba de la vie de maquisard. Un jour, son groupe tombe nez à nez avec une patrouille sénégalaise : "Ils nous ont évacués vers Ziguinchor, où le gouverneur nous a dit : "La place d'un enfant n'est pas dans un maquis"." Allen y restera scolarisé jusqu'à l'indépendance, en 1973.
Rapatriement précoce
De retour au pays, il obtient une bourse pour Cuba, où il est censé bénéficier de l'enseignement offert aux jeunes des "pays progressistes". Avec une vingtaine de fortes têtes, il lance un mouvement de désobéissance qui lui vaudra un rapatriement précoce. "Dès mon retour à Bissau, on m'a envoyé en prison pour six mois." À sa sortie, Allen gagne clandestinement le Sénégal, où il décrochera une licence en lettres modernes avant de bénéficier d'une bourse pour étudier le journalisme au Cesti, le Centre d'études des sciences et des techniques de l'information. En 1988, il rejoint le fondateur du premier journal indépendant de Bissau, L'Expresso Bissau. Allen Yéro Embalo y est chargé des enquêtes. Il a trouvé sa vocation.

En fouinant dans les magouilles du ministère de la Pêche, il s'attire l'opprobre du régime de Nino Vieira. Après trois semaines d'incarcération, Embalo s'évade et s'enfuit au Sénégal, où il collaborera un temps avec la presse privée. "À mon retour, en 1990, j'ai été convoqué deux fois au ministère de l'Intérieur, relate-t-il. Quand ils ont appris que je sortais d'une pépinière du PAIGC, ils m'ont fichu la paix." En 1995, il commence à piger pour l'AFP, ce qui lui vaudra d'être sollicité parallèlement par RFI pour devenir son correspondant à Bissau. Son réseau de contacts lui assure des entrées dans les maquis du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) comme auprès du chef de guerre sierra-léonais Fodé Sanko.
Fouiller sous les tapis d'un régime gangrené par le narcotrafic
Parallèlement, Embalo continue de fouiller sous les tapis d'un régime gangrené par le narcotrafic. Un jour, dans l'archipel des Bijagos, il assiste à un parachutage de colis par voie aérienne. "J'ai pris en photo des éléments de la Marine qui allaient les récupérer, mais des habitants m'ont probablement balancé." Dès son retour dans la capitale, il reçoit un SMS d'un ami militaire : "Si tu es chez toi, dégage vite fait !" Il se réfugie chez un voisin, juste à temps pour éviter l'arrestation.
Entre 2005 et 2007, les avertissements se font de plus en plus pressants ; son domicile et son véhicule essuient des tirs. Menacé, il met le cap sur Paris où il restera quatre années en exil.
Après son élection, en 2009, le président Malam Bacaï Sanha tentera de le convaincre de revenir exercer à Bissau. En 2011, Embalo se résout à prendre son billet retour. Pendant six mois, il fait profil bas. Mais cet assagissement ne dure qu'un temps. Au lendemain du coup d'État d'avril 2012, le pillage des ressources naturelles explose. Allen Yéro Embalo mène l'enquête sur la coupe illégale de bois, un sujet sensible qui lui vaut une nouvelle salve de menaces. "J'aurais pu m'enrichir mais ce n'est pas ce que je recherche, conclut-il. Quand un journaliste devient riche, ça pose question."


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