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Ucrânia: De que lado está a China?

La révolution de février, en Ukraine, a fait bouger les lignes de l'Europe. « Un changement tectonique », a averti l'intellectuel polonais Adam Michnik qui a lui-même contribué à faire changer ces lignes, en 1989. Le maître du Kremlin allait-il accepter ce nouveau bouleversement ? Incorrigibles et rationnels optimistes, les Occidentaux imaginèrent que c'était dans son intérêt. Nous avons beau côtoyer Vladimir Poutine depuis maintenant quatorze ans, nous ne le comprenons toujours pas. Surpris par la réaction massive du peuple ukrainien, en novembre, au rejet de l'accord d'association avec l'UE par son président, Européens et Américains sont à nouveau pris de court aujourd'hui, cette fois par la décision du président russe d'intervenir en Crimée, au mépris de tous les accords internationaux. Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés Cette démarche n'est pourtant pas sans précédents. La question est de savoir duquel on se rapproche le plus : le modèle 1968, celui de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques pour mettre fin au printemps de Prague, ou le scénario de 2008, lorsque le même Vladimir Poutine intervint en Géorgie en s'appuyant sur les séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du sud ? Atterrés, les intellectuels d'opposition à Moscou penchent pour le modèle 1968. Pour l'instant, la crise présente plus de similitudes avec l'affaire géorgienne. Mais l'Ukraine n'est pas la Géorgie. La taille du pays, son histoire, sa position géostratégique, la dimension pro-européenne de cette révolution en font une crise beaucoup plus grave. Pour l'ensemble des protagonistes : russes, ukrainiens, et occidentaux. Pour la Russie. Pourquoi M. Poutine a-t-il choisi la force ? Le président russe a sa propre logique, qui n'est pas celle des Occidentaux. D'abord, la Crimée est importante pour la Russie, qui y dispose d'une base navale sur la Mer Noire, dont le statut a été renégocié avec Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien déposé. Voyant que la révolution à Kiev portait au pouvoir un courant nationaliste ukrainien, il pouvait s'inquiéter de l'avenir de cet accord. Trois ex-présidents ukrainiens, MM. Kravtchouk, Koutchma et Iouchtchenko, en ont d'ailleurs demandé dimanche la révocation. Ensuite, si M. Poutine n'a sans doute pas versé de larmes sur la chute de Ianoukovitch, qu'il avait lâché, il lui est beaucoup plus difficile d'accepter la perte de l'Ukraine. Non seulement elle porte un coup quasi-fatal à son projet d'Union eurasiatique, mais elle amène le virus démocratique aux portes de la Russie. Même si la perspective d'une adhésion à l'UE est plus que lointaine, c'est une défaite pour lui. Depuis trois mois, les dirigeants européens vont et viennent à Kiev comme s'ils étaient chez eux. En intervenant en Crimée, Moscou reprend l'initiative. Enfin, même si l'intervention des troupes russes s'en tient là, elle crée un foyer d'instabilité sur le territoire ukrainien, qui affaiblit le pouvoir à Kiev. C'est la stratégie « d'instabilité contrôlée » évoquée par l'entretien d'un expert ukrainien avec Piotr Smolar. La fibre patriotique des Russes, abreuvés depuis trois mois d'une propagande médiatique massive sur le complot des « fascistes » ukrainiens anti-russes manipulés par l'Occident, peut s'en trouver momentanément flattée. Mais en reprenant la Crimée, la Russie hérite d'un nouveau problème, notamment avec les quelque 200 000 Tatars qui y sont revenus. Les opposants, eux, redoutent une répression accrue, qui a d'ailleurs commencé. Plusieurs peines lourdes ont été prononcées le 24 février et l'un de leurs chefs de file, Alexeï Navalny, a été détenu une semaine puis assigné à résidence, avec interdiction d'utiliser l'internet. Voilà qui solde le compte du soft power de la Russie, si tant est qu'il ait jamais existé. Sotchi, c'est fini. Pour l'Ukraine. Le nouveau pouvoir est totalement démuni face à ce défi lancé par Moscou. C'est un gouvernement provisoire, non élu, à la légitimité fragile. Contrôlé par les alliés de Ioulia Timochenko, il ne s'agit pas d'un gouvernement d'union nationale. Il a commis une erreur en supprimant le russe comme deuxième langue officielle, même si elle ne justifie pas à elle seule une telle réaction de la part de Moscou. Il décrète la mobilisation de l'armée, mais l'armée ukrainienne, dépecée par les régimes successifs, « n'existe que sur le papier », nous disait récemment un politologue proche de l'ancien pouvoir. Par ailleurs, en déclarant au président Obama, selon la version de leur entretien téléphonique fournie par le Kremlin, qu'il se réserve « le droit de protéger les intérêts des russophones » - revendication explosive si elle est prise à la lettre - M. Poutine fait peser une menace, celle d'agir bien au-delà de la Crimée, dans les régions de l'est de l'Ukraine où est concentrée la minorité russophone. Ces régions étaient restées calmes pendant le soulèvement de Kiev et de l'ouest. L'attitude interventionniste de Moscou depuis vendredi a produit un effet d'agitation immédiat, dangereux pour Kiev. Mais la révolution a fait naître un fort sentiment d'identité nationale pour les Ukrainiens : il n'est pas sûr que les russophones accueillent tous des troupes russes à bras ouverts. Pour l'Europe et les Etats-Unis. L'intense activité téléphonique entre les différents dirigeants occidentaux samedi montre à quel point ils prennent cette crise au sérieux, après la surprise initiale. C'est un défi majeur. Les Etats-Unis, qui avaient laissé l'UE gérer l'Ukraine en première ligne depuis trois mois, ont repris les rênes : Washington a pris soin de préciser que l'entretien téléphonique Obama-Poutine avait duré une heure et demie - ce qui est long - en a fourni un compte-rendu détaillé et en a publié une photo. M. Obama s'en tient pour l'instant à menacer la Russie d'« isolement politique et économique ». L'affaire dépasse désormais le cadre de l'UE. Elle soulève des questions de sécurité dans un pays limitrophe de la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie, toutes membres de l'UE et de l'OTAN. Outre l'OTAN, l'OSCE, l'ONU sont concernés. Si la Russie s'arroge le droit de protéger les russophones au-delà de ses frontières, cela va inquiéter beaucoup de monde, à commencer par les républiques baltes, membres de l'UE et de l'OTAN. Le G-8 pourrait rapidement redevenir le G-7. Si le conseil de sécurité de l'ONU est consulté, il sera intéressant de voir la position de la Chine, qui a signé tout récemment des accords économiques avec l'ex-président Ianoukovitch : s'alignera-t-elle sur les Occidentaux ou fera-t-elle front avec la Russie ? Malheureusement, une leçon ressort clairement des crises de 1968 et de 2008 : les options des Occidentaux sont très limitées. Sur demande du président Valdimir Poutine, la chambre haute approuvé le « recours à l'armée russe en Ukraine jusqu'à la normalisation de la situation politique ». Le Monde

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