5.1.12

A situação na Líbia é caótica

Kader Abderrahim est professeur associé à l'université de Californie et maître de conférences à Sciences Po Paris.

Quelle analyse faites-vous des combats qui ont eu lieu lundi 2 janvier à Tripoli entre des groupes d'ex-rebelles ?

Ces affrontements posent une question de fond qui est celui du désarmement des milices auquel le Conseil national de la résistance (CNT) n'est pas parvenu. Ces milices qui se sont constituées pour combattre Kadhafi à Misrata, Syrte ou Tripoli, réclament aujourd'hui des contreparties politiques pour déposer les armes abondamment reçues pendant l'insurrection. Or le CNT, qui est actuellement dans une période intérimaire, entre la rédaction d'une Constitution et l'organisation des élections, ne dispose que d'une marge de manœuvre très réduite. La situation est chaotique et ce n'est pas une surprise. Il y a de vrais risques de dérapages et des menaces directes contre le CNT.

Quel rôle jouent les milices dans la Libye d'aujourd'hui ?

Celui de groupes majoritairement aux mains des islamistes qui défendent leurs intérêts locaux ou régionaux dans un pays en situation post guerre civile. Les armes puisées dans l'arsenal de l'ancien régime sont pour l'instant un bon argument pour garder de l'influence et peser sur les choix politiques. Le CNT n'a pas toute l'autorité ni les moyens militaires ni la volonté politique d'entrer en confrontation avec ces milices. Les dirigeants du CNT cherchent à faire progresser l'Etat sur les plus petits dénominateurs communs : la mise en place d'un ministère des infrastructures pour relancer l'économie, ou encore la création d'un ministère de l'hydraulique pour l'acheminement de l'eau. Des sujets sur lesquels tout le monde est d'accord. Pour le reste je ne suis pas optimiste à moyen terme. La déclaration du président du CNT, Moustapha Abdeljalil, qui assure mercredi craindre une guerre civile, est un aveu d'impuissance.

La nomination mardi d'un chef d'état-major de l'armée laisse-t-elle entrevoir une amélioration ?

Rappelons qu'il n'y avait pas de ministre de la défense depuis l'assassinat du général Abdel Fattah Younès en juillet. Un acte qui témoignait déjà des dissensions au sein du mouvement des rebelles. Le nouveau chef d'état-major Youssef Al-Mankouch n'est pas un personnage de premier plan et il prend la tête d'une armée embryonnaire qui a pour mission d'intégrer les milices en son sein, une mission très délicate qui ne se fera pas sans l'arbitrage des islamistes. Rappelons que l'influence des islamistes au sein du CNT, de l'armée mais aussi des milices est très important. Mohammed Belhaj, gouverneur militaire de Tripoli, fondateur du Groupe islamique combattant en Libye et autrefois proche d'Al-Qaida, dispose ainsi d'une influence considérable.

Exprimant leur inquiétude après les violences, les Etats-Unis ont proposé d'aider le pays à intégrer ces milices aux forces armées. Cette proposition a-t-elle une chance d'aboutir ?

Notons tout d'abord qu'il n'y a eu aucune réaction occidentale aux affrontements dont nous parlons hormis celle des Etats-Unis. Ce qui est plutôt étonnant pour des pays comme la France qui se sont autant impliqués dans la région. Quant à la proposition formulée par la porte-parole du département d'Etat, Victoria Nuland, on voit bien les intérêts énergétiques et stratégiques américains. Ne nous voilons pas la face, cette aide est déjà effective sur le terrain, elle l'a été pendant la guerre et continue aujourd'hui. Pour autant, il y a un pas entre cette collaboration officieuse et une coopération officielle. De mon point de vue, ce genre de coopération viendra plus sûrement de certains pays très conservateurs du Golfe, comme le Qatar par exemple, qui joue déjà un rôle de pondération des islamistes, que ce soit en Libye ou en Tunisie.
Propos recueillis par Simon Piel/Le Monde

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