18.11.13

Tamera, uma utopia alentejana

TAMERA PEACE, LOVE ET AUTONOMIE Par FRANÇOIS MUSSEAU envoyé spécial de Libération à Odemira (Portugal) Pour avoir une vue d’ensemble de ce singulier territoire, le mieux est de se hisser jusqu’au stone circle, le cercle de pierre. Sur cette plateforme herbeuse dominant les 130 hectares du lieu, se dressent 96 mégalithes – inspirés par le site ar-chéologique d’Evora, capitale de l’Alentejo portugais. Sauf qu’ici, des cryptogrammes ont été gravés sur ces pierres en forme de menhir, entre inscriptions celtiques et calligraphie orientale. Sauf qu’ici, chaque lundi au lever du soleil, les membres de la communauté de Tamera se livrent à une cérémonie de prières païennes invoquant une «préhistorique utopie» et rendent hommage à ce que symboliseraient ces mégalithes placés de façon circulaire : «Une bibliothèque vivante des ancêtres.» Pour la cofondatrice de la communauté, Sabine Lichtenfels, il s’agit de prendre conscience du «lien profond qui nous lie à notre être originel, antérieur au traumatisme collectif». Bigre. Rêves éthérés de néohippies passéistes ? Incantations d’une secte millénariste ? Rien de tout cela. Dans ce coin perdu de l’Alentenjo, des écolo-techno-freaks aux convictions discutables mais ancrés dans le présent, disent se projeter dans un «futur possible». Capitalisme anthropo-phage, consumérisme sans fin, succession de guerres, perte des valeurs… Les 150 membres de la communauté es-timent que l’espèce humaine est parve-nue à une sorte de cul-de-sac évolutif et pensent qu’il est possible de construire un nouveau contrat social «afinde voir triompher les forces du bien». L’Allemand Dieter Duhm, 71 ans, sociologue, psycho-analyste, cofondateur et quasi-gourou de cette communauté, està l’origine de cette utopie en marche que l’on jugera au choix chimérique, mégalomaniaque ou géniale… Instigateur en 1978 d’une première expérience en pleine Schwarzwald (forêt Noire), il a mis en branle un projet en 1995, à Odemira, dans le sud du Portugal. Lacs, yourtes et high­tech Dix-huit ans plus tard, Tamera, communauté majoritairement peuplée d’Allemands, se veut toujours un laboratoire. Un centre de recherche pour l’avènement d’une «paix globale», où un groupe d’humains entend prouver qu’on peut vivre en harmonie entre soi, avec la planète, l’environnement, la faune et la flore, et ce de la façon la plus autosuffisante possible. Vu du ciel, Tamera ressemble à un aigle en vol. A ras de terre, on passe d’un quartier àl’autre, où défilent, de façon hétéroclite, yourtes mongoles, caravanes, maisons écolo high-tech ou édifices en verre aux silhouettes futuristes. Au beau milieu du pauvre Alentejo, régi par la monoculture des chènes-liège et en voie de désertification avancée, ce territoire fait figure d’oasis de verdure : on trouve ici des bouts de forêt, des quartiers d’habitations entourés de jardins potagers et, surtout, huit lacsqui n’existaient pas il y a seulement cinq ans. L’écosystème de Tamera doit tout à la «permaculture» : ou comment créer une production agricole soutenable, très économe en énergie (travail manuel et mécanique, carburant…), tout en laissant à la nature le plus de place possible. Expert dans ce domaine arrivé en 2007, Bernd Mueller, la cinquantaine et barbe blanche, n’est pas peu fier de ce qui a été accompli. Cette année-là, la terre est sèche et il y a à peine assez d’eau potable pour les centaines d’invi-tés qui participent à des séminaires. «On a alors commencé à aménager des barrages de terre pour retenir les pluiesd’hiver et ainsi générer ces lacs. Un cercle vertueux a été restauré : fini le ruissellement et l’érosion, les eaux alimentent de nouveau les nappes phréatiques, l’humus s’est reconstitué peu à peu», dit-il en fai-sant la visite du vaste site. C’est l’une des incontestables réussites de Tamera qui, depuis 2011, accueille chaque année un symposium sur les ressources hydriques, avec des experts du monde entier. Des communautés «amies», de la Colombie à Israël, vien-nent les étudier. Grâce à un système so-phistiqué (inspiré par les recherches du permaculturiste autrichien Sepp Holzer), ce bout de terre quasi désertique est désormais autosuffisant en ce domaine, donne une eau potable de qua-lité à ses locataires, et a des ressources excédentaires pour son agriculture. Une faune lacustre – grenouilles et poissons amphibies– a même vu le jour. Et l’institut écologique de Tamera, que dirige Bernd Mueller, a proposé d’étendre son modèle au sud du Portugal, avec le slogan «Mille lacs pour l’Alentejo». «Cela en ferait une région riche, mais les politiques sont frileux. Et, plus largement, en l’adaptant aux contingences locales, ce système serait un antidote à l’essentiel de la pauvreté planétaire», affirme l’expert. L’un des objectifs de ces «travailleurs pour la paix» liés aux altermondialistes est de résister «au diktat des empires".

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