Retour sur la Libye d’aujourd’hui après la dernière « guerre humanitaire » de l’OTAN : implosion des appareils d’Etat au profit de Seigneurs de la guerre, chefs mafieux et autres gourous de katiba islamo-affairistes, pillage des stocks d’armes et prolifération dans toute la sous-région, jonction opérationnelle des factions jihadistes avec les cartels latino-américains de la cocaïne, les filières d’immigration clandestine, les pirates des mers et des pêches côtières. Des côtes de Mauritanie à celles de la Somalie et du Yémen, cette dynamique morbide aggrave une chaîne d’Etats faillis, devenue l’ « Afghanistan de proximité » des Européens, selon les termes appropriés d’un ancien patron de la DGSE 1 .
Encore plus que celles d’Afghanistan justement et d’Irak, cette nouvelle expression de la politique occidentale de la canonnière inaugure un nouveau désastre fabriqué : une sanctuarisation durable du terrorisme islamiste, dans sa transversalité Ouest/Est, dans sa verticalité Nord/Sud et dans ses déversoirs maritimes en Méditerranée occidentale et orientale, dans le Golfe de Guinée et ses extensions, qui concerneront - à terme -, une grande partie de l’Atlantique sud. Comment en est-on arrivé là ? Comment s’est effectuée cette nouvelle éclipse sur l’Afrique ? Et qui sont ses protagonistes, apprentis sorciers irresponsables, sinon criminels ?
On doit cette salutaire mise en œuvre d’un devoir d’inventaire 2 de l’opération Unified Protector (OUP) de l’OTAN à Jean Ping, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (2008-2013). Dans le contexte des mal nommées « révolutions arabes », les vieilles fractures qui opposent traditionnellement la Cyrénaïque et la Tripolitaine se réveillent. La France, la Grande-Bretagne, puis l’OTAN en profitent pour lancer une nouvelle « guerre humanitaire ». Après des bombardements qui se déroulent du 19 mars 2011 jusqu’à la chute de Syrte - le 20 octobre 2011 -, le « guide » Mouammar Kadhafi est lynché dans un caniveau… La suite était prévisible. Ainsi, la question que pose Jean Ping est des plus pertinentes : fallait-il tuer Kadhafi ?
Dans cette leçon magistrale, Jean Ping fait non seulement un réquisitoire serré des politiques occidentales du bâton, mais il dresse aussi un bilan de l’Union africaine à l’usage de l’avenir. Interrogations liminaires : « à l’ère des idéaux de justice internationale et d’actions humanitaires, il est impératif d’empêcher les atrocités de masse et de s’opposer aux idéologies tyranniques. Mais, pour y parvenir, la solution n’est-elle que militaire ?
L’histoire en général et les nombreuses guerres impériales en particulier n’ont-elles pas prouvé à suffisance le contraire ? » Et, en posant ces questions salutaires, Jean Ping ne prend une seconde pas la défense du régime ubuesque du Guide dont il eut à souffrir personnellement les fantaisies, surtout durant l’année de présidence libyenne de l’UA : « quant à moi, j’étais naturellement très loin de me douter que venait de s’ouvrir la période la plus difficile et la plus singulière de mes 40 longues années de carrière administrative, diplomatique et politique ».
En effet, ce célèbre représentant de la communauté «chinoirs » (Enfant né d'un père africain et d'une mère asiatique ou inversement) n’est pas vraiment un perdreau de l’année. Fonctionnaire à l’UNESCO à Paris en 1972, il y représente le Gabon de 1978 à 1984 avant de revenir à la politique de son pays. En 1993, il préside l’OPEP, dont son pays est membre à l’époque. En 2004, il est choisi pour être le 59e président de l'Assemblée générale des Nations unies. A de nombreuses reprises, il représente le Gabon dans de grandes conférences de l’UA, des Non-alignés, de l’Organisation de la conférence islamique, de la Banque mondiale, de la Francophonie, de la TICAD (Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique) et mène plusieurs médiations diplomatiques sur le Grand continent. Grand officier de la Légion d’honneur, son précédent ouvrage - Mondialisation, paix, démocratie et développement : l'expérience du Gabon – est préfacé par Hubert Védrine.
Mieux que quiconque, il est à même d’évaluer, de comprendre et de canaliser les trois grandes obsessions du Guide : « ses propres pouvoirs en tant que président en exercice de l’Union, le siège de la Commission (qu’il souhaitait transférer dans sa « ville natale » de Syrte) et surout la transformation de la Commission (c'est-à-dire de l’exécutif de l’Union) en « gouvernement de l’Union », considéré comme « étape significative vers la création des Etats-Unis d’Afrique ». Autoproclamé « rois des rois traditionnels africains », Kadhafi était assurément dérangé, pour ne pas dire autre chose… A cet égard, on apprend dans ce livre une foule de choses inédites, tant sur le guide, sur Moussa Koussa le chef de ses services que sur bien d’autres rouages du régime libyen ! Malgré toute son expérience, sa clairvoyance et sa grande patience, Jean Ping n’en n’est pas moins la cible de la chef de la diplomatie américaine Susan Rice qui le dénonce régulièrement comme l’un des suppôts de la Françafrique, tout comme Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka durant la crise malgache. Allez y comprendre quelque chose !
Février 2011, s’enflamme la « révolution » libyenne. La résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU (26 février) arrête un embargo sur les armes à destination de la Libye et bloque les avoirs du régime en place. La résolution 1973 instaure une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire de la Jamahiriya arabe libyenne et postule la protection des populations civiles. Conseillé par le pseudo-philosophe Bernard Henri Lévy, grand thuriféraire de la politique israélienne, Nicolas Sarkozy déclenche les premiers bombardements le 19 mars 2011. Les Dimanche 10 et lundi 11 avril, Mouammar Kadhafi accepte un plan de sortie de crise présenté par les médiateurs de l'Union africaine (UA), menés par le Sud-Africain Jacob Zuma. La délégation de l'UA invite l'OTAN à mettre fin à ses bombardements. Les insurgés libyens rejettent ce plan de paix. La machinerie de « changing regime » doit aller à son terme, renouant avec le long cortège d’expéditions punitives para-coloniales comparables à celle de Suez en 1956, pour ne citer que celle-ci. Lamentable !
Lamentable aussi de voir à la télévision des dirigeants occidentaux sabler le champagne sur le cadavre de Kadhafi quoiqu’on puisse penser du personnage ! Une nouvelle fois, les puissances occidentales se sont arrogées, de manière unilatérale et éhontée, le doit de décider de l’avenir d’un pays du Sud. Suprême humiliation, les trois membres africains du Conseil de sécurité de l’ONU ont totalement ignoré la Feuille de route diplomatique et politique de l’UA justifiant ainsi un diktat impérialiste supplémentaire en Afrique ! Résonne encore le grotesque discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar sur « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’Histoire » et les recommandations paternalistes de Barack Obama, en visite officielle au Sénégal, demandant à son homologue Macky Sall d’accepter officiellement l’homosexualité dans son pays…
En définitive, le réquisitoire tranquille de Jean Ping rejoint les conclusions qu’Alain Joxe tire de la défaite des expéditions impériales 3 : « Pour l’empire global (…) le maintien de l’état de guerre et de la division après destruction de l’état (afghan ou baathiste) est le résultat recherché pour la création d’une zone où la libre corruption et la libre violence communautaire créent un espace homomorphe à la libre concurrence des marchés ». Une leçon vraiment magistrale… Richard Labévière espritcors@ire
Assinar:
Postar comentários (Atom)
Nenhum comentário:
Postar um comentário