Ce texte est extrait de la «leçon inaugurale» qu’a prononcée Pierre Rosanvallon, lundi 18 juillet, à Montpellier, lors de l’ouverture
des Rencontres de Pétrarque, organisées par France Culture et Le Monde dans le cadre du Festival de Radio France.
Il y a deux mots qui se regardent aujourd’hui en chiens de faïence :
celui de « peuple » et celui de «populisme». Il y a le paradoxe
d’un terme négatif qui est dérivé de ce qui fonde positivement la vie
démocratique. On exècre le populisme alors que l’on exalte le principe de la souveraineté du peuple. Que recèle ce paradoxe?
Pour éclairer cette question, il faut partir´du principe que le peuple est effectivement le principe actif du régime démocratique, mais que c’est une puissance indéterminée.
Il y a en effet un écart entre l’évidence d’un principe, la souveraineté du peuple, et le caractère problématique de ce peuple comme sujet.
Caractère problématique en second lieu des institutions et des procédures
pour exprimer le peuple. Le système représentatif existe-t-il parce que la représentation directe est impossible dans une grande société ? Ou parce que le système représentatif a des vertus propres par l’obligation qu’il entraîne de délibérer, de s’expliquer en public ? Tout cela n’a
jamais été véritablement résolu.
Il faut donc partir de cette double indétermination pour comprendre ces rapports équivoques entre la référence positive au peuple et l’emploi suspicieux de la notion de populisme. La troisième indétermination concerne le fait que le peuple n’est pas simplement un principe commandant, mais qu’il est aussi substance et forme sociale de la démocratie.
Il est la figure du commun, la forme d’une société des égaux. Aujourd’hui,
nous pouvons dire que le peuple est en crise. Il y a une crise particulière de la représentation. Et d’un autre côté, la société ne fait plus corps, elle est disloquée par les inégalités.
Dans une première approximation, on pourrait dire du populisme ce que Marx
disait de la religion. Qu’il est à la fois le symptôme d’une détresse réelle et l’expression d’une illusion. Il est le point de rencontre entre un désenchantement politique, tenant à la mal-représentation, aux dysfonctionnements du régime démocratique, et la non-résolution de la
question sociale d’aujourd’hui.
Le populisme est une forme de réponse simplificatrice et perverse à ces difficultés.
C’est pour cela qu’on ne peut pas seulement l’appréhender comme un «style»
politique, comme certains le disent, en le réduisant à sa dimension démagogique.
Comprendre le populisme, c’est mieux comprendre la démocratie avec ses risques de détournement, de confiscation, ses ambiguïtés, son inachèvement aussi.
Ne pas se contenter donc d’un rejet pavlovien et automatique pour faire du mot «populisme» un épouvantail qui ne serait pas pensé. La question du populisme est en effet interne à celle de la démocratie.
Et on peut se poser là une question: est ce que le XXIe siècle n’est pas en train d’être l’âge des populismes comme le XXe siècle avait été celui des totalitarismes?
Est-ce que ça n’est pas la nouvelle pathologie historique de la démocratie
qui est en train de se mettre en place ?
Avec aussi le danger d’utiliser une notion aux contours pareillement flous.
Le populisme présente quelques traits saillants. On peut d’abord dire que la doctrine de l’ensemble des partis concernés repose sur une triple simplification. Une simplification politique et sociologique :
considérer le peuple comme un sujet évident, qui est défini simplement par la différence avec les élites.Comme si le peuple était la partie « saine » et unifiée d’une société qui ferait naturellement bloc dès lors que l’on aurait donné congé aux élites cosmopolites et aux oligarchies. Nous
vivons certes dans des sociétés qui sont marquées par des inégalités croissantes.
Mais l’existence d’une oligarchie, le fait de la sécession des riches ne suffisent pas à faire dupeuple une masse unie.
Autre simplification : considérer que le système représentatif et la démocratie en général sont structurellement corrompus par les politiciens, et que la seule forme réelle de démocratie serait l’appel au peuple, c’est-à-dire le référendum.
Troisième simplification – et elle n’est pas la moindre –, c’est une simplification dans la conception du lien social. C’est de considérer que ce qui fait la cohésion d’une société, c’est son identité et non pas
la qualité interne des rapports sociaux.
Une identité qui est toujours définie négativement.
A partir d’une stigmatisation de ceux qu’il faut rejeter : les immigrés ou
l’islam.
(...)
Reprodução parcial de um artigo que me foi facultado pelo Professor Eduardo Costa Dias, ao qual devo muitas atenções.
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