18.5.12

África: as falanges combatentes islamistas

Des chebaabs somaliens à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en passant par le groupe nigérian Boko haram, l'islam radical est devenu une composante géopolitique majeure en Afrique. Leur apparente unité idéologique masque en réalité une grande diversité, mais ces groupes radicaux n'en sont pas moins convergents par leurs objectifs. Malgré l'idée assez répandue d'un monopole d'Al-Qaïda sur les groupes islamistes africains, c'est en fait moins AQMI que le Groupe islamique armé algérien, son ancêtre, qui sert d'exemple à plusieurs groupes armés. Ils en ont adopté la structure en phalanges combattantes autonomes, mais surtout une idéologie relativement localiste et une opérationnalité fondée moins sur la dispersion géographique que sur l'action locale. Ainsi, en Somalie, l'Union des tribunaux islamiques a émergé comme mouvement islamique composite, avant de se scinder. Deux branches radicales s'en sont extraites, les fameuses milices Al Chebaab et le Hizbul Islam avant de fusionner sous l'étendard noir des chebaabs. Bien qu'en contact avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique, la guerre des chefs et l'effondrement du régime au Yémen a provoqué une certaine prise de distance avec Al-Qaïda, les chebaabs luttant avant tout pour le pouvoir en Somalie. Par ailleurs l'islam somalien est assez spécifique et historiquement emprunt de soufisme, même si une partie des chebaabs sont désormais influencés par les idéologies wahhabite, salafiste ou des Frères musulmans égyptiens. De la même manière, au Nigéria, le groupe Boko haram, bien qu'influencé par les mouvements salafiste et taliban, pratique un islam hétérodoxe empruntant des pratiques qui tiennent bien plus de la culture africaine qu'au rigorisme islamique. Et si l'émergence sociologique de Boko haram ("l'éducation occidentale est pêché") est comparable à celle du mouvement taliban ("étudiant"), elle s'est faite moins par une adhésion aux principes du fondamentalisme que sur une contestation politique du pouvoir en place. Au Mali, on retrouve toute la diversité des groupes islamistes du continent africain. En dehors de la présence d'AQMI, qui opère même en dehors du continent, plusieurs groupes ont émergés dans la moitié nord du pays après sa conquête par les touaregs sécessionnistes. Ces groupes se singularisent par des objectifs différents. Ansar Dine, tout d'abord, est un mouvement islamiste mais dirigé par un touareg, Iyad Ag Ghali, ayant vécu en Arabie saoudite. Il semble être en contact à la fois avec AQMI et les indépendantistes touaregs, mais n'est ni vraiment internationaliste ni sécessionniste. Il préfèrerait l'instauration d'un régime islamique dans l'ensemble du pays. Autre groupe actif, le Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique occidentale (Mujao) constitue quant à lui un groupe djihadiste régional dirigé par un Mauritanien, Hamada Ould Khaïrou, qui revendique l'incorporation entre autres de touaregs, de Nigériens et de Tchadiens. Il dit s'inscrire dans la logique d'AQMI et d'Ansar dine, mais aussi des chebaabs somaliens et des islamistes du Moyen Orient ou d'Asie. Son but serait d'étendre le djihadisme à l'Afrique noire. Internationaliste mais appliqué à la région ouest-africaine, s'il prône l'instauration de la charia, son application dépasse pour lui la question territoriale. AQMI, Mujao et Ansar dine constituent ainsi trois facettes de l'islamisme radical au Sahel dont les idéologies et les objectifs se distribuent donc sur un gradient islamiste-nationaliste. Par ailleurs, et c'est là un développement d'importance, Boko haram aurait dépêché au nord du Mali des combattants nigériens et nigérians. Il coordonnerait ses opérations avec AQMI, qui réussirait donc finalement, par ce biais, à chapeauter quelque peu ces groupes islamistes émergés localement, bien que d'inspiration religieuse sensiblement distincte et plus ou moins attachés à leur région d'origine. Si ces différents mouvements se rejoignent donc sur le rejet d'un Occident libertaire et de régimes locaux jugés corrompus, ils diffèrent en revanche grandement par leurs origines géographiques, leurs idéologies religieuses, leurs revendications politiques ainsi que par leurs modes opératoires. Il n'en reste pas moins que face à l'absence chronique d'amélioration des conditions de vie locales, le radicalisme d'opposition qu'ils partagent est en pleine expansion. Et c'est précisément dans cette opposition commune qu'ils puisent leur principal facteur de convergence stratégique. La lutte contre ces groupes ne saurait donc être exclusivement sécuritaire, au risque non de les affaiblir mais bien de renforcer leurs emprises locales autant que leur alliance, d'est en ouest du continent africain. Julien Théron, politologue spécialisé en géopolitique des conflits, enseignant à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

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