16.5.12

Bissau: o enésimo sobressalto

par Aya Touré le 15/05/2012 (SlateAfrique) Les militaires bissau-guinéens ont de quoi être satisfaits. On peut même dire quʼils narguent la communauté internationale. Après leur coup dʼEtat du 12 avril dernier et malgré les condamnations internationales, ils restent plus que jamais maîtres du jeu. Le processus électoral est interrompu. Leur bête noire, le Premier ministre sortant Carlos Gomes Junior, favori du second tour de la présidentielle, et le président par interim Raimundo Pereira sont définitivement hors jeu. Détenus pendant deux semaines, ils ont été libérés le 27 avril et sont en exil en Côte dʼIvoire. Cʼest le candidat de la junte, Manuel Serifo Nhamadjo, arrivée troisième au premier tour de cette présidentielle avortée, qui devrait assurer la transition pendant un an. Tout cela, avec lʼassentiment de la Communauté économique des Etats dʼAfrique de lʼOuest (Cédéao) qui a renoncé à imposer le rétablissement de la démocratie par la force. Cette solution, prônée par la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), jugée par trop proche de Gomes Junior par les auteurs du coup dʼEtat, a vite été écartée. Au PAIGC, le parti de Carlos Gomes Junior, on rejette cette décision comme « inconstitutionnelle ». Dʼautant quʼavec 49% des voix au premier tour, le chef du gouvernement déchu était assuré de remporter lʼélection. Mais que faire quand les institutions régionales valident le fait accompli? Une alliance politico-militaire contre Gomes Junior Une fois encore, cʼest une conjonction dʼintérêts entre des militaires et des politiques qui a mis bas la fragile démocratie bissau-guinéenne. « Derrière la junte, se profile le chef dʼétat-major, Antonio Indjai, soupçonné avec dʼautres dʼavoir récupéré la main sur le trafic de la cocaïne latino-américaine qui continue à transiter par le pays, explique un représentant de la société civile et fin connaisseur de la vie politique locale. Mais dʼautres avaient tout intérêt à empêcher Gomes Junior dʼarriver au pouvoir, comme lʼancien président Kumba Yala, arrivé deuxième au premier tour et très lié à certains militaires dʼethnie balante comme lui. Avant le coup dʼEtat, il avait dʼailleurs annoncé quʼil boycotterait le second tour de la présidentielle. Mais dʼautres, notamment les adversaires de lʼancien Premier ministre au sein du PAIGC, avaient intérêt à le voir quitter la scène politique. » Comme toujours dans la capitale, la population accepte pourtant presque placidement ce énième soubresaut dans lʼhistoire politique du pays. « Lʼatmosphère est calme à Bissau et un non-initié ne pourrait croire que ce pays vient de souffrir dʼun coup dʼEtat et de lʼéviction de ses principaux responsables politiques », confie un européen habitué du pays. Rien de surprenant pour qui connaît la Guinée-Bissau où la vie reprend toujours rapidement son cours, tant les habitants sont coutumiers des coups de force. Lʼadministration ne fonctionne plus Pour autant la situation est catastrophique. La Guinée-Bissau nʼa plus de président, plus de gouvernement, depuis plus dʼun mois. Lʼadministration ne fonctionne plus et les salaires des fonctionnaires ne sont plus versés. « La plupart des ministères sont fermés », témoigne un chef dʼentreprise de Bissau. Cette situation est dʼautant plus inquiétante quʼelle survient en pleine récolte de la noix de cajou, principale source de devises pour le pays. « En raison du blocage généralisé, les banques ne font pas crédits aux gros intermédiaires, affirme un entrepreneur en agro-alimentaire. La campagne se poursuit malgré tout sans mais quʼon sache exactement dʼoù proviennent les fonds des intermédiaires ». Dans ce contexte, les spéculateurs achètent les noix à 150 FCFA au lieu des 350 FCA. « Compte tenu du prix du kilo de riz (environ 250 FCFA), les paysans ne pourront pas sʼen sortir », sʼinquiète un diplomate occidental. Il faut donc dʼurgence que le pays retourne à la normalité institutionnelle. Un nouveau pouvoir de transition est en train de sʼinstaller. Mais la question est de savoir pour combien de temps, tant ce qui vient de se dérouler est contraire à toutes les règles démocratiques. Plus grave encore, la réforme de lʼarmée, souhaitée par tous ceux qui veulent voir les militaires sortir du jeu politique a de bonnes chances enterrée et les acteurs du trafic de cocaïne - militaires comme « narcos » latino-américains - ont de beaux jours devant eux. Certes une mission militaires de la Cédéao doit, en principe, remplacer les 600 hommes de lʼarmée angolaise, accusés par la junte de rouler pour Gomes Junior et de vouloir lʼaider à neutraliser lʼarmée. Cette nouvelle force est censée reprendre le processus de refonte annoncé depuis des années mais jamais abouti. Tout le problème est quʼà chaque fois que cette réforme a commencé à avancer, les militaires, craignant de perdre leur pouvoir et leur prébendes, ont déstabilisé ou renversé les dirigeants qui tentaient de la mener à bien.

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