19.5.12

Bissau: Nigéria e Angola em confronto

C’est une partie d’échecs à coups de pétrodollars et de blindés. Les joueurs sont les deux plus importants producteurs d’or noir en Afrique. D’un côté le Nigeria, géant démographique fort de ses 160 millions d’habitants mais fragilisé par une situation quasi-insurrectionnelle dans le nord musulman. De l’autre, l’Angola dont les ambitions dépassent l’Afrique australe, et qui dispose d’une des armées les plus puissantes du continent. Un pays de 19 millions d’habitants dirigé d’une main de fer depuis 33 ans par Eduardo Dos Santos. Au milieu, la petite Guinée-Bissau et ses 1,6 million d’habitants coincés entre le Sénégal et la Guinée. Souvent présenté comme le premier narco-Etat africain tant le trafic de cocaïne sud-américaine en transit vers l’Europe y a pris de l’ampleur, l’ex-colonie portugaise compte parmi les Etats les plus pauvres du monde. Le coup d’état militaire du 12 avril en Guinée-Bissau, entre les deux tours de la présidentielle, s’explique en grande partie par l’hostilité d’une partie de l’armée à la présence d’une importante mission militaire angolaise dans le pays, perçue comme la garde rapprochée du Premier ministre sortant Carlos Gomes Junior, qui était en passe de devenir le prochain président de la République. La Mission militaire angolaise (Missang) s’est déployée en mars 2011 dans le cadre d’un accord technique entre Bissau et Luanda qui remonte à octobre 2010. Angolais trop visibles Au début, elle ne comptait que 200 hommes. Mais ses effectifs ont progressivement augmenté, pour atteindre plus de 650 hommes. De l’armement lourd a en outre été acheminé. Bref, la Missang était de plus en plus visible dans les rues de Bissau, au grand dam d’une partie de l’armée qui n’hésitait pas à la considérer comme une force d’occupation. Mais, au début, les autres partenaires internationaux n’étaient pas mécontents de voir un pays africain autant s’impliquer dans la résolution d’une crise africaine. Comme le souligne l’ONG International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié en janvier, « pour la première fois peut-être dans l’histoire des interventions internationales en Guinée-Bissau, un acteur s’impose qui dispose à la fois de ressources financières formelles et informelles significatives, d’intérêts économiques réels, d’une ambition diplomatique, d’une légitimité historique et d’une petite force militaire sur le terrain ». Mais à l’approche des échéances présidentielles, la trop grande proximité entre les troupes angolaise et Carlos Gomes Junior a commencé à créer des tensions, qui ont culminé avec le coup d’Etat. Lors des troubles de décembre 2011, dans quelle ambassade étrangère s’est réfugié le Premier ministre? Celle de l’Angola. Où sont casernés les soldats de la mission militaire angolaise? Au Bissau Palace Hôtel, qui est … mitoyen du Palacio do Governo, c’est-à-dire la Primature. Après le putsch du 12 avril, l’Angola a bien essayé, avec le soutien de l’ancienne puissance coloniale, de rester en Guinée-Bissau. Elle a milité pour le déploiement d’une force de maintien de la paix, sous contrôle de l’ONU, et notamment composée de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Contrer l’influence française Créée en 1996 et basée à Lisbonne, cette organisation regroupe toutes les anciennes colonies du Portugal (Brésil compris) mais aussi l’ancienne métropole. Dans la crise bissau-guinéenne, Luanda et Lisbonne sont sur la même ligne et soutiennent activement Carlos Gomes Junior. En Afrique francophone, la CPLP est souvent perçue comme faisant contre poids à l’influence de Paris sur le continent africain. Mais la tentative angolaise de maintenir une présence militaire a échoué en raison de l’opposition de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), actuellement dirigée par le très francophile président ivoirien Alassane Ouattara, soutenu par le géant nigérian. Ce sont les troupes ouest-africaines qui vont se déployer en Guinée-Bissau et pas celles de la CPLP. Le Nigeria, avec ses alliés ivoirien et burkinabè, a gagné une manche dans sa lutte d’influence qui l’oppose sur ses terres ouest-africaines à l’Angola. Le Nigeria a dans le passé envoyé ses hommes, dans le cadre de forces militaires régionales, au Liberia et en Sierra Leone. Elle s’apprête à le faire au Mali. L’Afrique de l’Ouest est son pré-carré, sa démographie et son économie « écrasent » ses voisins, elle dispose en outre de l’armée la plus puissante de la région. Abuja et Paris se sont récemment rapprochées, comme le confirme la visite réussie de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé au Nigeria en novembre. Les deux capitales ont une approche commune sur les crises régionales. Axe Abidjan-Ouagadougou Cette communauté de vues a permis l’élection en février d’un tandem francophone à la tête de la Cédéao: l’Ivoirien Alassane Ouattara à la présidence, le Burkinabè Kadré Ouédraogo à la présidence de la Commission. Un axe Abidjan-Ouagadougou, avec la bénédiction d’Abuja et de Paris. Le Nigeria et le Burkina fournissent sans surprise les plus importants contingents de la force ouest-africaine en Guinée-Bissau. L’armée ivoirienne, en pleine restructuration, n’est pas du voyage. Du moins pour l’instant. Mais le président ivoirien n’a pas oublié que Dos Santos a été le dernier allié de son ennemi juré Laurent Gbagbo, lors de la crise post-électorale de début 2011. A l’époque, l’Angola et l’Afrique du Sud soutenaient une solution négociée, aboutissant à un partage du pouvoir entre Ouattara et Gbagbo, s’opposant à la France et au Nigeria qui défendaient la légitimité acquise dans les urnes de Ouattara. Là aussi, Luanda avait essuyé un revers diplomatique. Sans pour autant abandonner ses ambitions ouest-africaines. A noter également que le Sénégal, autre allié de la France dans la région, goûtait assez peu l’installation de militaires angolais à ses frontières méridionales, près de la région toujours instable de Casamance. Bauxite guinéen Mais Luanda, dont les troupes doivent quitter la Guinée-Bissau le 30 mai, continue d’avancer ses pions dans la région. L’Angola a signé en mars 2011 un accord de coopération dans les domaines de la géologie et des mines avec la Guinée-Conakry, premier producteur mondial de bauxite et où des réserves de pétrole ne demandent qu’à être exploitées. Le président du conseil d’administration de la puissante société Bauxite-Angola est Bernardo Campos. Selon ICG, c’est un ancien de Diamang et d’Endiama, deux compagnies publiques angolaises actives dans le secteur du diamant. Il a également fait partie des services de la présidence angolaise. En 1958, la Guinée-Conakry avait dit « Non » à la France de de Gaulle. En 2012, elle pourrait bien dire « oui » à l’Angola de Dos Santos. Adrien Hart WWW.SlateAfrique.com

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